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LA CHASSE AUX PAPILLONS

LA CHASSE AUX PAPILLONS

01 Feb 2018

LA RESTAURATION, C’EST VENU PAR NÉCESSITÉ, MAIS BOULON PAR BOULON, J’ÉTAIS DÉJÀ DANS LE DÉLIRE DE LA PRÉCISION.

A tout juste 40 ans, Nicolas semble connaître les années 50 comme s’ il en revenait. Tout, dans cette “maison-atelier” semble vous happer dans un autre espace temps dès le seuil franchi. L’ odeurd’ abord... et enfn, ce petit déséquilibre quand les yeux font le point. Soudain, plus aucun repère familier ou contemporain, et surtout de massives formes oblongues qui déjà vous emmènent en voyage. Les meubles, la musique, les photos et même leur jeune propriétaire semble d’ époque. Sa femme, d’ une autre époque également, c’ est moi.

J’ ai eu envie de vous raconter l’ histoire de cet homme avec qui je partais simplement à la chasse aux papillons et qui a fnalement décroché des étoiles. En 2003, après avoir été serveur pour payer ses cours de comédie, puis joué Andromaque 33 fois à Paris dans le premier rôle, Nicolas n’ a plus de boulot et redescend en Provence dont il est natif. La restauration et le remontage intégral d’ un vieux Lambretta, c’ est juste pour se soigner, ne plus penser et accessoirement gagner un peu d’ argent : "Ado, j’ en avais déjà fait d’ autres !

La restauration, c’ est venu par nécessité, mais boulon par boulon, j’étais déjà dans le délire de la précision." Les voitures, ça a germé pendant un voyage à L.A., émerveillé de voir que beaucoup de gens roulent avec des anciennes. Là-bas, c’ est un réfexe naturel. Le rêve ! En rentrant, il a l’ occasion de récupérer une Mercedes Pagode, juste pour le plaisir... de la démonter complètement ! Une fois rhabillée savamment, il faut la céder ; c’ est un déchirement ! Nicolas adore raconter que je lui ai dit "Laisse-la partir, ne t’ inquiète pas, tu en feras plein d’ autres" et qu’ à ce moment là, dans sa tête un verrou a sauté, cela lui aurait ouvert à ce qu’ il fait aujourd’ hui, tout serait parti de là.

Je ne m’ en souviens pas, mais à vrai dire, n’ importe quel prétexte aurait été bon à prendre pour démarrer Classic Sport Leicht. C’ était évidement son truc. On venait de se rencontrer, j’ ai vu son Lambretta...de l’ orfèvrerie ! A croire qu’ on était en 64 et que l’ engin sortait tout juste de l’ usine ; chaque vis (d’ origine) était comme neuve, comme si un psychopathe avait travaillé dessus jour et nuit pendant des mois; c’ était le cas ! Je l’ ai vu terminer sa première 280 SL Pagode, il avait déjà le souci obsessionnel de restaurer sans concession, dans la plus pure tradition. Redonner vie, soigner les pièces initiales et travailler le moins possible avec du neuf pour préserver l’ origine et l’ histoire de l’ auto.

Quand une voiture met un pneu dans son atelier et qu’ elle arrive avec un boulon “étranger”, on peut être sûr qu’ elle repartira avec des boulons d’ origine (marque et année coïncidant à la voiture) sortis de la réserve millésimée du chef. Au-delà du fait d’ être sidérée par le travail de Nicolas, si je l’ ai soutenu au point de lâcher le micro de radio que je tenais depuis 20 ans, c’ était aussi égoïstement pour revivre les plus douces heures de mon enfance dans l’ atelier de mon grand-père, mécanicien-régleur, retraité des usines Renault à 46 ans pour cause de Parkinson.

Les outils volaient parfois autour de nous, mais on était tellement bien tous les deux. Sous les vieilles affiches de boxe, shootés par l’ essence et l’ odeur d’ huile, les pieds dans la sciure, le regarder bricoler un moteur suspendu au plafond par un palan, la force qu’ il avait, et la précision dans le geste malgré sa maladie.Sa patience. Le faux plein de mon vélo, 48 fois d’ afilée à la pompe à essence factice conçue pour moi. Ma grand-mère complice. C’ était leur maison. De la magie en barre. J’ ai compris plus tard que sans Pierre et Mireille, mes grands-parents adorés, j’ aurais peut-être mis moins de force à nous faire basculer dans cette vie là et à vouloir recréer une maison-atelier aussi magique pour les petits que pour les grands. Tout n’ a pas été si simple…

 

 

…au départ. On n’ avait pas un radis. Je faisais l’ aller-retour dans la journée chaque vendredi pour enregistrer à Paris. On faisait presque du porte-à-porte, se retrouvant un jour à table chez une adorable veuve, propriétaire d’ une Volvo Break Amazon dans laquelle il y avait tous ses souvenirs. On est repartis avec, le cœur serré d’ emporter sa jeunesse et ses amours, quand le nôtre démarrait. On était heureux mais tout était compliqué. On entendait parler d’ une sortie de grange et hop on se retrouvait derrière une haie à faire la planque, parfois deux jours d’ afilée.Tout semblait nous dire, "une autre fois peut-être".

Il nous fallait absolument acheter une belle voiture pour démarrer. Un ami a gagné au loto, il s’ est porté caution, j’ ai fait un crédit et tout a démarré ce matin d’ hiver où Nicolas est arrivé sur le petit chemin avec une magnifque 190 SL gris graphite, intérieur rouge. On se pelait dans un lof-atelier en rase campagne près d’ Avignon, j’ étais enceinte de notre premier enfant et étrangement je n’ ai jamais eu peur du lendemain. La vie de bohème a basculé dans une vie sans dimanche avec des bruits de marteau tard dans la nuit. Puis on a perdu tout l’ argent des bénéfces de la première voiture. Un Français installé en Arizona nous avait vendu une 190 SL pour 50 000 dollars, il ne nous l’ a jamais livrée. On a failli tout arrêter. Ce qui caractérise Nicolas, c’ est sa pugnacité, il ne laisse jamais tomber.

Quand il piste une voiture, ça peut durer des mois, des années. Je ne l’ ai jamais vu se décourager pour rien. C’ est un Caterpillar, il prend son temps et va jusqu’ au bout sans s’ essoufer. Pour réussir à faire sortir la 300 SL de Paul Newman d’ un musée “particulier” en Grèce, il a fallu être très patient, jouer à ni oui ni non au téléphone, et entendre le prix monter et descendre. A sa place, mon portable aurait fni en miettes et je serais partie en maison de repos. Ce genre de négo est complexe et ardue. Quand il y asurchaufe, il se met les mains dedans, et part pour des heures avec un disquede jazz, à tendre un ciel de toit, refaire tout un tableau de bord, et se place souvent juste en dessous de la vitre qui donne dans notre salon. Ça nous permet d’ être ensemble sans l’ être. Ça lui permet surtout de faire des milliers d’ heures supplémentaires sans qu’ on en soufre, et on adore se poster là avec les enfants le soir, comme si on matait un feu de cheminée avec la lumière qui monte de l’ atelier.

Quand je me demande jusqu’ où pousser la restauration, quand la voiture a appartenu à Paul Newman, Nicolas répond : "La carrosserie avait connu au moins trois peintures diférentes avec des épaisseurs qui cassaient les lignes originelles de la voiture. En revanche, châssis, trains roulants et mécanique étaient là depuis toujours. J’ ai décidé, avec son propriétaire, de la restaurer conformément à sa fiche de sortie d’ usine, et telle que Paul Newman l’ avait connue, “metallic blau” avec un intérieur bleu marine et tissu écossais. J’ adore être celui qui passe juste après les ouvriers de l’ usine !

Il ne reste qu’à démonter patiemment, restaurer et remonter à l’ identique. Tu peux garder une voiture dans son jus si elle a eu un bon vécu et qu’ elle demeure, avec sa patine, en parfait état. Parfois, il faut savoir la débarrasser de ses oripeaux et corriger les erreurs, les bricolages en tout genre, pour la ramener à ce qu’ elle était. Ensuite, sur une voiture “importante” beaucoup de clients désirent un état concours 100 points. Ça demande un savoir-fair que je compare au compagnonnage, pour toutes les étapes : mécanique, sellerie, traitement des métaux, carrosserie. »Pour une restauration de ce type, c’ est 3 à 4 ans de travail. En ce moment, Claude Delpippo est sur, sous, et dans la “Paul Newman”, il te dit calmement qu’ il en aura pour 2 000 heures. Comment ne pas être fasciné parce type là, qui tout petit, démontait tout.

Sa mère inquiète, l’ a même emmené chez un spécialiste. Jusqu’ à ce jour où le père de Claude, carrossier à Montreuilà l’ époque, s’ adresse au petit de 9 ans : "Ça te dirait de démonter l’ avant de cette DS 23 tout seul?" Elle était rouge, et Claude timide, attendait cet instant depuis toujours. A 47 ans, il a déjà 38 ans d’ expérience et en est à ce stade où tu savoures chaque jour ce savoir-faire accumulé, que tu ne dois qu’ à toi même, et qui t’ apporte tant de plaisir et de sérénité ; ce n’ est pas lui qui le dira mais c’est moi qui vous le dit. Son goût des anciennes, il vient de la vive émotion des deux sorties de grange auxquelles il a assisté avec son père, une Chenard et Walker à 8 ans et une Hotchkiss à 14.

Pour les 300 SL, ça lui tournait autour, avec des projets avortés. C’ est Nicolas qui lui a apporté la première. Il était déjà fan du travail de Claude, et je pense qu’ il était plus impatient de prouver à Claude "lui-même" qu’ il était fait pour travailler ces voitures d’ exception, que de voir le résultat dont il était défnitivement sûr !  Evidemment, les jours où Claude sort une voiture du four, c’ est jour de messe, ça impose le recueillement. Après des milliers d’ heures passées dessus, tu la vois briller comme une boule de verre.

Quel mot sortir ? C’ est beau ? Tu ne peux pas dire ça... c’ est un micro mot à côté de ce qu’ il vient de réaliser. Tu te tais. " Procurer une émotion, c’ est ça ma récompense". Cet homme a un laser dans l’ œil et il fait parler sa main : "Je pars d’ une tôle plate,et sans gabarit, en travaillant des formes rondes, je n’ ai pas le droit à l’ erreur. L’ avantage, c’ est de pouvoir la comparer aux autres 300 de Nicolas. Comme elles sont faites à la main, et qu’ aucune n’ est identique, j’ en choisis trois et je fais la moyenne des trois. La 300 SL, elle est complexe et simple ; en fait, elle est logique.

C’ est au démontage que je l’ ai découvert." Mais à quoi pense Claude quand il travaille ? "Tu sais qu’ elle me parle la Paul Newman ? On communique tous les deux, je lui mets une forme et elle a l’ air de vouloir aller dans l’ autre sens, je l’ écoute mais je ne me laisse pas faire. Et pour chaque voiture, en travaillant, je l’ imagine fnie... et j’ entre dans un monde où enfn je me détends" A trois rues de là, Nicolas aussi est dans sa bulle. Indépendants mais travaillant ensemble.

Quand à ce qui les lie : "La passion, l’ amitié et tous les deux, on veut la perfection." Un jour, Bernard Consten leur a dit : "Vous ne savez pas la chance que vous avez de vous être trouvés." J’ adore ces phrases des anciens, qui ont l’ air légères mais qui pèsent lourd. Bernard, fls d’ un concessionnaire Renault, est né en 1932 à Courbevoie où se trouvent aujourd’ hui Classic Sport Leicht et Delpippo Automobiles. Il a remporté entre autres, cinq fois le Tour de France automobile ou encore le Liège-Rome-…

 

 

...Liège et a confé à Nicolas deux 300 SL : Un Papillon et un roadster. N’est-ce pas saisissant d’ avoir sous les yeux, la voiture et l’ homme qui a fait son histoire, et d’ assister à une sorte de transmission ? Nicolas a une complicité non déguisée et privilégiée avec ces anciens coureurs qui se retrouvent à la maison et ont parfois deux fois son âge. Ils lui font confance et le respectent, lui parlent d’ égal à égal. Ce n’ est pas arrivé par hasard. Marrant de voir partir Bernard tout fier avec son T-shirt “Cap sur les beaux jours” sous sa veste de laine.

On voulait faire un beau T-shirt pour l’ offrir aux clients et aux copains. On a pensé à une collaboration avec Smokey-Joe. com. C’ est une marque artisanale française de vêtements au style vintage, dans l’ univers de l’ auto-moto d’ exception et des records historiques. Guillaume Lieutier travaille comme nous, de façon traditionnelle. Ses T-shirts, par exemple, sont dessinés et imprimés à la main. Réalisés par des artistes, ils sont numérotés et édités en série limitée. Ce slogan, il exprime tout ce pourquoi on se lève chaque matin, matérialiser du rêve. Je n’ ai pas eu le temps de vous raconter l’ histoire de la “Paul O’ Shea” (sinon mon rédacteur en chef sera retrouvé pendu).

Mais c’ est le Papillon qui a propulsé Nicolas.Elle a un palmarès exceptionnel et se trouve en état concours. Son propriétaire est notre porte-bonheur et parrain. Le prochain défi est un Papillon aluminium, c’ est une rareté. Inclassable. C’ est vraiment comme toucher une étoile, Claude a hâte de la caresser:  " Elle est tellement pure, elle n’ a pas été touchée." Pour pouvoir accueillir un tel projet, il faut les meilleurs et Nicolas a su s’ entourer. Bernard Tendero est rectifeur motoriste chez CSL. 40 ans d’ expérience. A 7 ans, dans le port de Casa, il regarde son grand-père, proprio d’ un Mobil-oil, faire l’entretien des chaluts, à 9, c’ est son père qu’ il aide sur des moteurs de camion Bedford à Alicante.

A 22 ans, il sait changer des culasses de 450 kilos chez “Rectifcation moderne” à Paris où il restera 25 ans. Lui, c’ est sur des airs de Bossa qu’ il aime bosser et il sait aussi la danser. Tout lui est passé dans les mains, du moteur d’ avion de tourisme au moteur de train : "J’ ai appris avec les méthodes de travail des anciens, ils me manquent, je leur rends hommage chaque jour. »Un moteur de 300 SL ? « C’ est très simple." Le moteur qui l’ a impressionné? "Un 512 boxster Ferrari avec 12 cylindres à plat." Aujourd’ hui, à 58 ans, Bernard aspire à transmettre. Avis à l’ apprenti motivé qui sera bienvenu chez nous. Le dompteur ! Elles sont là autour de lui, rutilantes et alanguies, déshabillées ou super préparées.

Ardentes. Masculines comme un requin, féminines dans leurs courbes et leur écrin intérieur. C’ est précisément mon sentiment quand je descends à l’atelier. Un dompteur, c’ est comme un chef d’ orchestre, on a l’ impression qu’ il est juste là à agiter sa petite baguette alors qu’ il a bossé comme un fou. La porte s’ouvre, les enfants rentrent de l’ école, le dompteur reprend sa tête de papa, inquietd’ une rayure de Tan’ s, des mains toutes noires soulèvent les marsupiaux. C’ est exactement ce qu’ on voulait. Pour ses 7 ans, Nicolas a reçu une petite 300 SL, puis il a oublié.

Récemment un ami d’ enfance est arrivé avec, et lui a dit : "Tiens, tu m’avais donné ça il y a longtemps et je crois que sa place est ici." Ce qui est commun à tous les protagonistes de l’ histoire, c’ est que ça les a pris tout petit, et qu’ ils le sont restés. Ceux qui achètent ces voitures, ceux qui les ont pilotées, ceux qui les soignent. Croisez les yeux plein de malice de Jean Wicki, ceux rieurs de Bernard Consten, ceux de Claude Delpippo qui s’ émerveillent encore, ces hommes qui semblent jouer au mécano avec passion et patience toute la journée, ça me comble de joie. De mauvais garçons avec de si bonnes manières.